La Fédération française des éleveurs de sangliers,

une organisation professionnelle ancienne et moderne.

Dr Jean-Michel Pinet

Secrétaire général

 

En 1988, les ministères de l'agriculture et de l'environnement sont soucieux quant aux élevages de sangliers. Certes, depuis le 28 octobre 1982 un arrêté a fixé quelques règles pour ces élevages, arrêté complété par le classement de ces établissements et donc soumis à autorisation d'ouverture. Qu'en est-il réellement sur le terrain ? Hors quelques articles de presse locaux sur les cochongliers, il n'y a aucune synthèse. On ignore même le nombre exact d'élevages. Le ministère de l'agriculture charge donc JM Pinet d'une enquête nationale. Parti sans a priori dans ce tour de France, je découvre des situations étonnantes : des animaux à tête de porc, des sangliers bigarrés noir et blanc atteignant 150 kg suspendus à des hampes dans des garages, des utilisations impressionnantes d'eaux grasses, des élevages avec des portes entrées –sorties permettant la capture des sangliers sauvages, des densités atteignant 2tonnes, voire plus à l'ha, et bien d'autres cas troublants. A côté de ces errements des élevages magnifiques avec des animaux sauvages et sangliers.

 

Une remise en ordre s'impose visiblement dans les presque 3 000 élevages existants en 1988. C'est alors un groupe de près de 200 éleveurs venant de plusieurs régions de France se réunissent à Paris et fonde en juin 1988 la Fédération nationale des éleveurs de sangliers. Celle-ci fêtera en juin 2010 son 22ème anniversaire.

 

Quelle a été son action ?

 

Comme toute organisation professionnelle, la défense des intérêts de ses membres occupe une place essentielle. Cette défense passe par la diffusion des textes règlementaires afin que chacun connaisse bien le code de conduite. Hélas, le texte de 1982 est peu clair ou tout au moins trop succinct. Il s'ensuit de nombreux litiges avec l'administration relayée sur le terrain par la garderie nationale de la chasse et de la faune sauvage. Si l'étanchéité des clôtures ou les prescriptions sanitaires ne prêtent pas à contestation, il n'en n'est pas de même de nombreux autres points comme la charge à l'hectare, le couvert, la présence ou non d'abris "temporaires", la faisabilité du marquage à la naissance, la tenue du registre en cas de pertes de boucles à numéro individuel et, cerise sur le gâteau, la notion de race pure.

 

Historique du caryotype

 

Le législateur de 1982 indique que ne seront autorisés que « les animaux de race pure ». Malheureusement, il ne précise pas comment cette qualité peut être reconnue. Il faut reconnaître qu’à cette époque, le sanglier est peu connu de ce point de vue. En effet, une des caractéristiques du sanglier (Sus scofa scrofa L) est d’appartenir à la même espèce biologique que le porc domestique (Sus scrofa domesticus). En conséquence, les deux sous-espèces se croisent sans difficulté et, surtout et malheureusement, donnent des descendants fertiles (à appeler métis plutôt qu’hybrides car nous sommes dans la même espèce).

 

Assez vite, à la suite du travail de Bosma (1976) conduit en Hollande, et de la note technique de l'Office national de la chasse (1992), le polymorphisme chromosomique du complexe sanglier-porc domestique est reconnu. Le sanglier sauvage (ou forestier) présente un caryotype à 36 chromosomes, le porc domestique un caryotype à 38 chromosomes. Les métis de 1ère génération ont un caryotype à 37 chromosomes. Lorsqu’on croise deux génotypes purs à 36 chromosomes (1 mâle et 1 laie), la descendance est à 36, ce caractère étant stable au fil des générations (Bidanel, 1998).

 

Ce caractère a paru à la fois simple à mettre en œuvre et économiquement acceptable. C’est pourquoi la Fédération des éleveurs de sangliers a, depuis 1990, regroupé les éleveurs de sangliers de race chromosomiquement purs (les caryotype 36). Dés cette époque, ces éleveurs ont adopté un code d’élevage fondé sur trois critères : génétique (caryotype 36), phénotypique (aspect physique du sanglier de type occidental à profil en trapèze, à groin allongé et pelage sombre) et comportemental (farouche, bonne tenue à la course). Cette approche a été validée dés 1998 par C. Legault (Directeur de Recherches à l’INRA) et R. Darré (Professeur à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse) (rapport envoyé sur simple demande adressée à la FNES).

 

Cette rigueur a fait reconnaître la fédération à l’échelle internationale. Des délégations d’Espagne, du Portugal du Québec, de Finlande, de Colombie, du Chili ont été reçues pour étudier nos techniques d’élevage. Elle a également été reconnue par le Tribunal administratif d’Amiens (17 décembre 1999) qui a jugé le critère chromosomique comme essentiel pour identifier un sanglier de race pure.

 

Le caryotype est-il un critère à valeur écologique ?

 

Il semble qu’en Europe occidentale tout au moins le génotype sauvage soit à 36 chromosomes. La présence dans une population naturelle de caryotypes à 37 ou à 38 indique des lâchers de porcs domestiques ou des croisements avec des porcs. L’intérêt adaptatif du polymorphisme chromosomique n’est pratiquement pas étudié chez le sanglier en raison des difficultés de capture. Confirmant les travaux de Mauget et. al.(1984) et Popescu et al.(1980) le travail récent de Macchi et al (1997), conduit à l’université de Turin en Italie est fondamental. Ce travail montre qu’en plaine et dans les zones proches des villages, il y a un mélange de caryotypes. L’auteur évoque des lâchers réguliers. Par contre, en montagne et dans les zones peu habitées, seul le caryotype 36 est présent. L’auteur avance l’hypothèse d’un avantage sélectif donné à ce caryotype lorsque les conditions écologiques sont moins favorables. Ceci corrobore les conclusions des chercheurs spécialisés sur le polymorphisme chromosomique. En effet, ces chercheurs disposent d’un autre modèle biologique, la souris Mus musculus L aux populations domestiques et sauvages polymorphiques, autrement plus faciles à étudier que notre sanglier.

 

Le caryotype a-t-il un intérêt économique ?

 

Reconnaître l’appellation sanglier aux seuls animaux à caryotype identifié (2n=36) est un moyen indirect pour limiter d’éventuelles importations légales de sangliers vivants aux seuls animaux pour lesquels cette analyse a été pratiquée : elle doit monter un caryotype à 36.

 

Faisabilité technique et économique du caryotype

Le caryotype est à pratiquer uniquement sur les reproducteurs. Les descendants étant toujours à 36, cette opération est inutile si l’éleveur ou n’a pas introduit d’animaux dans son établissement où ceux éventuellement introduits sont caryotypés à 36. Lorsque l’éleveur choisit dans son cheptel, quelques animaux qu’il sélectionne comme reproducteurs, ce choix s’effectue sur des animaux de 30 – 35kg. En conséquence, bien que le sanglier élevé pour la chasse ne soit pas un animal facile, l’opération ne présente pas de difficultés particulières. Elle nécessite une simple cage de contention muni d’un système d’extension de la patte avant pour faciliter la prise de sang par le vétérinaire. Réalisé dans des matériaux faciles à se procurer (grille métallique, cornières renforcées), son coût est négligeable car sa durée de vie est de deux à trois dizaines d’années ! En tout état de cause,  il est plus facile et bien moins coûteux à mettre en pratique qu’une alternative fondée sur les jurys de race comme pour les chiens ou d’autres espèces domestiques.

 

Le coût d’un caryotype comprend l’intervention du vétérinaire qui, outre l’opération elle-même du prélèvement à réaliser dans des conditions stériles, assure la traçabilité de l’opération entre un animal donné et le prélèvement qui sera envoyé au laboratoire. Le prix de revient final est de l’ordre de 0,3 % du prix du sanglier de chasse vendu à 40 kg pour un enclos. Ce coût est tout à fait supportable pour disposer d’un sanglier aux qualités génétiques reconnues.

 

Conclusion

Au fil des années, la FNES, devenue FFES, a fait évoluer la réglementation et les arrêtés d'août 2009 sont la traduction concrète de ces efforts pour parvenir à produire un sanglier de qualité dans un contexte règlementaire aux enjeux bien compris par tous. En particulier, le caryotype, complété par un phénotype et un comportement sauvage, définit un sanglier de race pure. D’une mise en œuvre assez simple, fiable, économiquement acceptable, pratiqué depuis une vingtaine d’années par les éleveurs de la Fédération sans que ceux-ci aient observé une quelconque dégénérescence, il s’avère dans l’état actuel des connaissances scientifiques, le critère le plus efficace pour faire progresser l’élevage de sangliers. Pour les élevages de 2010 (environ 5 à 600), le caryotypage est un indice de la qualité de l'élevage et de la technicité de l'éleveur. Il est également un gage de qualité pour éviter une pollution génétique des populations sauvages dont le ministère de l’environnement, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, les Fédérations de chasseurs sont garants, chacun dans leur domaine.